Les formations institutionnelles
Pierre Smet
Quelle formation avez-vous ? Question que l’on retrouve de plus en plus fréquemment dans notre quotidien. Elle est généralement suivie par celle d’en savoir plus sur le lieux de formation et ensuite sur les expériences professionnelles, c’est-à-dire sur la mise en pratique d’une formation, sur ce qu’elle a pu devenir au contact du terrain, des solutions attendues… des échecs et des ratages. Force est de constater que si nous pouvons répondre à ces questions grâce à nos diplômes ou notre parcours personnel, il est beaucoup moins aisé d’avoir un regard extérieur sur sa propre formation et ce, même après plusieurs expériences professionnelles. La psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle peuvent nous y aider,mais ces deux approches n’échappent pas aux difficultés que pose la formation même si elle y a apporté d’importants changements.
De même, s’il semble évident de savoir de quoi on parle lorsque on fait référence à la formation, à y réfléchir quelque peu, apparaît bien vite que si nous n’y prenons pas garde, nous pouvons nous trouver rapidement amenés dans des logiques qui vont à l’inverse de la formation, voire à son contraire. Toute formation nécessite donc un questionnement permanent sur ce qu’un processus de formation peut produire comme fermeture, dégradation… d’exclusion sous peine de s’y trouver enfermé.
Mon propos sera de vous présenter différents aspects de la formation afin de faire apparaître la complexité des différentes questions qui s’y trouvent. J’ai pour ce faire choisi de travailler à partir d’une réflexion qui s’apppuie sur trois points d’approche différents afin de montrer comment les enjeux de la formation et de l’institutionnel se trouvent liés. Quoique cela fasse de nombreuses années que je travaille sur ces questions, je reste surpris de ce que j’y découvre encore aujourd’hui. C’est pourquoi j’ai voulu reprendre toute une série de repères et de dégager le cheminement dans lesquels ils se trouvent. Je commencerai par situer quelque peu cette question dans des temps qui nous ont précédés mais qui aujourd’hui encore ont laissé des traces et continuent à prendre des formes inquiétantes. À partir d’un autre point de vue, il s’agira de présenter comment on est passé d’une formation en psychiatrie au collectif psychiatrique. Ensuite il est crucial de montrer le passage de la conception des formations psychiques inconscientes à celle des formations de l’inconscient et à la mise en place de la passe. Enfin il s’agira de préciser à la fois de quoi s’institue la formation et ce qu’il en est de son institutionnalisation.
1. Histoire d’avoir une formation
Lorsque je lis des articles du mouvement de la thérapie institutionnelle je reste le plus souvent interloqué de ce passé européen-en particulier l’entre deux-guerres et celle par la suite de la libération dont finalement je me rends compte que je ne sais pas grand-chose et ce malgré le fait que je suis titulaire de plusieurs titres universitaires en sciences humaines. De ces sciences humaines, sciences conjecturales, je dégagerai deux points : le premier concerne la reconnaissance des sciences humaines par l’université et la communauté scientifique, ce qui a constitué un élément fort important tant au niveau du savoir qu’au niveau de la mise en place des formations. Le deuxième concerne la professionnalisation de ces diplômes et leur lien avec le marché du travail. Il s’agit là d’enjeux fort importants notamment au niveau des conséquences que cela peut ou non produire d’une conception de l’humain voire de d’humanité. Les diverses initiatives politiques des pays européens sur le titre de psychologue montrent qu’il ne s’agit pas d’une question particulière à un pays, mais se retrouve sur plusieurs continents, ce qui tend à créer une image universelle de l’homme.
L’histoire de la professionnalisation reste donc à ma connaissance fort peu abordée tant dans des programmes de cours qu’au sein de syndicat. L’histoire par exemple du rôle des CEMEA reste fort peu connue. Des processus tel que l’abatardisation et l’aliénation mercantile sont peu dénoncés. Nous nous retrouvons là devant la fabrication, la formation de drôles d’hommes à diplôme. Oury avance que précisément là se joue le lien avec la petite propriété… auquel on tient. Cela colle à la personnalité avec le piège imaginaire que représente le moi, les mécanismes de dépendance prennent toute leur importance (Séminaire Le Collectif p. 202, 1984). Obtenir un diplôme renforce le statut et en particulier le statut social, d’où l’intérêt de la distinction à faire entre statut, rôle et fonction. Par ailleurs, avoir diplôme, être diplômé peut encore amplifier d’avantage les préjugés notamment en qui concerne la folie qui nécessite au contraire qu’il ait la reconnaissance d’une dimension existentielle. À cela s’ajoute le fait que le diplôme s’incarne dans une seule personne et fait peu de place à la reconnaissance du travail à plusieurs.
Il faut rappeler à ce propos la place fondamentale qui a été faite aux débuts du mouvement de la psychothérapie institutionnelle à des personnes n’ayant pas de qualifications. Par la suite, dans de nombreux pays il n’y a plus eu cette possibilité alors que par exemple en Belgique de nombreux travailleurs dans le secteur justice-santé mentale-éducation pouvaient jusque dans les années 90 occuper des postes sans pour autant avoir de diplôme ou avoir un diplôme en sciences humaines permettait d’accéder à certains postes.. Il faut souligner qu’était concomitant à ces situations celui des débats sur la gestion des associations et notamment parfois sur l’autogestion ou la cogestion.
Il faut également mettre cela en lien avec ce qui s’est passé-bien plus tôt - avec la psychanalyse concernant l’analyse profane où précisément va être posé la question de savoir quelle est la formation particulière nécessaire pour exercer l’analyse. Cette question provoquera rapidement une scission dans le champs analytique même et qui suscite aujourd’hui encore de nombreux débats. Il s’agit là d’une question cruciale qui va notamment se retrouver jusque dans la proposition d’octobre de Lacan dans laquelle il avance que l’analyste ne s’autorise que de lui-même et ajoute près de dix années ensuite ‘...et de quelques autres ‘
Que veut dire « s’autoriser », terme central chez Lacan mais plus largement dans tout ce qui dans les années 1970 s’est constitué comme ‘auto’ et ce y compris dans la clinique notamment au niveau de la pulsion.Oury parlera de la difficulté que le schizophrène ressent devant le constitué, qu’il a du mal à s’auto-constituer.Ceci étant à mettre en -parallèle avec la mise en avant des courants de cette époque l’autoproduction de l’homme générique.Tosquelles quant à lui mettra l’accent sur nos propension àl’auto-satisfaction et notre dimension d’auto-connerie’’La formulation des idéaux a une fâcheuse tendance à nous entrainer dans la forêt des valeurs morales. Pis encore : dans cette même forêt se cachent de nombreux pièges que chacun construit avec ses propres abstractions intellectuelles, conçues souvent alors comme la chose ensoi, ou plutôt son essence…(L’enseignement de la folie-P100 -1992)
Ces différents points mériteraient d’être développés mais il me paraît plus important d’avancer sur la réflexion proprement dite de la formation en psychothérapie institutionnelle et en psychanalyse.
2 De la formation en psychiatrie au collectif psychiatrique
Oury c’est très tôt prononcé sur des questions de formation et en particulier sur la formation professionnelle en psychiatrie –notamment en 1958 au congrès international de Barcelone – à partir de l’idée de ‘’renfermermerie ‘’dans laquelle les psychiatres sont les premiers à être renfermé et ce à partir de relations tel producteur consommateur, soignant –soigné, médecin –malade. Il ajoute à cela qu’il s’agit de prendre en compte que la vie quotidienne peut dégénérer vers des systèmes clos et aliénant et qu’il s’agit de faire place à une mise en existence des personnes. « C’est pour que chacun soit branché d’une manière plus étroite au système inconscient qui le supporte et qu’il structure lui-même, que nous nous efforçons d’agir ainsi, persuadé que la communication ne devient désaliénante que lorsqu’elle dépasse le stade de la relation spéculaire et symétrique pour s’introduire dans un monde plus fondamental où la variance situe la relation avec autrui selon le mode de l’asymétrie absolue. »
C’est à ce propos que Oury mettra l’accent sur le ‘’Collectif psychiatrique’ et sur la travail de celui –ci à partir de questions et d’agencements concrets.A ce propos Il tachera de préciser sa propre position personnelle dans laquelle il se présente comme contraint d’intervenir par la médiation des institutions pour lutter contre les attitudes aliénantes de ségrégation interne et de prendre personnellement l’analyse de quelques moniteurs.Les acting-out montreraient ainsi l’existence mais aussi la fragilité d’ordonnancement d’un système de valeur.’’La mise en jeu d’un certain mécanisme signifiant exige certaines conduites,en exclut d’autres.’’et il poursuit ‘Toute personne venant s’intégrer dans l’équipe thérapeutique se professionnalise dans une direction bien définie.C’est ce processus qui sert de trame à toute formation professionnelle efficace ‘.Il y a donc à souligner l’importance existentielle que prend dans chaque personne l’historicité du Collectif et le fait que son articulation inconsciente la fait accéder au rôle de soignante.Par la suite en 1959 il se prononcera clairement sur le club comme un instrument de formation du personnel soignant,comme le complément vécu indispensable d’une formation plus académique.
L a psychothérapie institutionnelle nécessite une structure de l’organisation –une formation- qui ne relève pas d’un organigramme pyramidal mais plutôt d’un organigramme polycentrique, qui par ailleurs se soutient d’un lien entre pratique et analyse permanente. Le collectif ne peut cependant que renvoyer à un système d’axiomes qui spécifient le collectif aussi bien dans son objet que dans son but.L’ analyse permanente ne peut donc être une opération abstraite :son objet en définit à chaque instant les modalités et la théorie. Il ne s’agit pas ici une nouvelle fois de retomber dans une dichotomie trop facile du concret et de l’abstrait,ils’ agit au contraire de tacher d’en établir le lien.Si pour Oury le collectif ressemble à une machine abstraite c’est en tant « qu’elle n’ek-siste que parce qu’il ya une sorte d’information permanente –au sens d’enformer-qui forme cette espèce d’organe abstrait qui lui-même à ce moment là,va permettre qu’il y ait une possibilité d’une nouvelle greffe de transfert. C’est au niveau de l’ambiance qu’on va « sentir »qu’il y a quelque chose de vivant qui tient la place du semblant ». (Oury Séminaire collectif p215 1984).
En 1986 dans le séminaire intitulé’ Création et Schizophrénie ‘ Oury poursuit cette réflexion pour situer le lieu de surgissement où il se manifeste quelque chose de l’ordre de la psychose.Il reprends ce terme ‘enforme ‘en se référent notamment à ce qui a été dit sur la gestaltung à entendre comme mise ne forme (p 31),mais il n’est pas satisfait de cette traduction’’Le terme d’enforme ne traduit pas bien Gestaltung.parce-que mettre en forme suppose presqu’on a déjà l’idée d’une forme du moins l’idée de former devant les yeux alors que dans sa définition Klee dit que l’accent du mot gestaltung doit être mis sur la désinence.’( p195)’(L’essentiel dans une gestaltung ce sont ses ruptures, ses discontinuités, dont l’unité exige, pour être, une activité pure de franchissement ; iL faut se perdre dans sa faille ou se perdre et se gagner dans le bond.L’important, le décisif est que la faille est un vide.’ (p196) Il fait également référence à Lacan qui avance quant à lui que dans le champs imaginaire le champs de A est en-forme de l’objet a ‘au niveau de ce champ ceci s’inscrit dans une topologie qui,à l’imager car bien sûr ce n’est qu’une image intuitive,se présente comme le ‘trouant ‘(Lacan Séminaires ‘D’un autre à L’Autre ‘ 68-69-)
Nous voyons ainsi quelle place prends également la formation par rapport aux questions cliniques,on pourrait en dire d’avantage par exemple sur les formations réactionnelles mais je m’en tiendrai à la question posée, dans ce fameux texte ‘Projet d’une rencontre entre psychanalystes de villes et psychiatres d’hôpitaux ‘du rapport entre aliénation et formations réactionnelles, c’est là où il s’agit effectivement d’être au clair notamment par apport à l’aliénation et par rapport à ce qu’il en est de l’inconscient.
3 Des formations psychiques inconscientes aux formations de l’inconscient.La passe
Il est important de prendre en compte que si Freud parle de formations psychiques inconscientes,Lacan quant à lui passe à la notion de formations de l’inconscient C’est en 1975 que Lacan intitule son séminaire les formations de l’inconscient en mettant sur un graphed’une part les emplois courants du langage et sur l’autre la dimension intentionnelle prise dans l’acte de parler, nous ne développerons pas ici les différents points du graphe seulement à souligner ce qu’il en adviendra du besoin et surtout l’apparition de la notion de jouissance dont Lacan donne comme définition –en référence à Freud ‘’plaisir de la surprise et surprise du plaisir’’.Ce qui est important ici est de poursuivre ce travail à propos de présentation de ‘ l’autre scène’,celle qui aurait pour charge de ramener le message à son émetteur. La topologie de Lacan à cette époque viser a à présenter de l’au-delà du besoin dont devra se satisfaire le désir. En particulier la mise en scène du phallus équivaudrait à ce qui a été nommé Nom-du –père dans le Séminaire III,le père resterait donc ce personnage clé de ce qui est présenté dans le graphe et ce notamment à partir des différents temps –frustration,privation,castration-qui caractérisent chaque niveau.Lacan en arrive ainsi à une seconde définition de la jouissance ‘espace d’irradiation ou de phosphorescence qui se dégage du fait que le sujet se trouve dans une position venue d’on ne sait quelle béance primitive en quelque sorte extraite de son rapport d’implication à l’objet,et de là il se saisit fondamentalement lui-même comme patient dans cette relation’. Ce qui nous importe ici c’est l’avancée de Lacan à propos du signifiant, c’est-à-dire de ce qu’est cette présence fugace du signifiant –trace dans l’effacement qui désigne un signifié. ‘Ce qui reste d’un texte, c’est la place où l’on a effacé, et c’est bien cette place aussi qui soutient la transmission, qui est ce quelque chose d’essentiel grâce à quoi ce qui se succède dans le passage prend consistance de foi(séance 23/4/1958)’Il apparaît ainsi que l’une des dimensions essentielles du signifiant, c’est de pouvoir s’annuler lui-même. Cette approche essentielle se retrouve dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle et ce notamment sous la plume de Tosquelles en préface de l’ouvrage ‘Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle-traces et configurations précaires’. A propos du dépaysement que les textes de Oury peuvent susciter Tosquelles écrit :’ « On pourrait dire,avec une métaphore simplette mais transparente,que lorsqu’on se tient au plus près des mouvements formatifs des textes théoriques,la scission apparaît entre :d’une part le terrain où se nouent et germinent les efflorescences sauvages ou cultivées en question et d’autre part,la propre apparence,le propre mouvement,et,dans le meilleur des cas,les propres incidences complexes du processus d’efflorescence. Alors les textes deviennent « en réalité » de la « littérature », de la production esthétique ou philosophique. De « vraies formations réactionnelles »,des fascinations de la couleur, des demi-teintes, des modulations odorantes,des excréta qui sont alors mis en boîte, dégagées de leur propre processus d’usinage. Dans les meilleurs cas, des fleurs desséchées dont les livres semblent faits à propos pour évoquer avec discrétion des souvenances, des bouquets de fleurs qui se fanent fatalement. »
Ce texte,en parlant ainsi de la formation, nous permet d’en arriver à la question de la formation du psychanalyste -pour aborder ensuite celle de celui ou de celle qui veut s’inscrire dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle. Il s’agit en effet de souligner que dans les années cinquante un des débats majeurs portait sur la conception du symbolique et en particulier ce qui ce qui fait départ.Ainsi pour Lacan ce qui fait départ c’est la ligne, qu’il appelle coupure et qu’il s’agit de tenir à priori pour fermée,c’est là l’essence de sa nature signifiante.(Séance 23mai 1962 séminaire Identification).Lacan en arrive ainsi à soutenir que l’on ne peut s’en tenir au fait de savoir si quelqu’un a été analysé mais plus tôt de ce que cela lui fait d’être psychanalysé. Ce sera la question du’ désir de l’analyste ‘ -question reprise notamment dans le séminaire de 1964-65 qui suivit son excommunication-à noter que celle –ci fut exigée à partir de l’interdiction faite à Lacan d’occuper une fonction de formation.
En 1966 il clarifiera encore d’avantage sa position: ‘’Le problème de la formation du psychanalyste n’est rien d’autre…. que par une expérience privilégiée,il permet que viennent au monde des sujets pour qui cette division du sujet ne soit pas seulement quelque chose qu’ils savent,mais quelque chose en quoi ils pensent.Il s’agit que vienne au monde quelqu’un qui saurait découvrir ce qu’il expérimente dans l’expérience analytique à partir de cette position maintenue que jamais il ne soit en état de méconnaître qu’au moment de savoir il soit dans une position divisée.Rien n’est plus difficile que de maintenir,dans une position d’être,ce qui pour chacun -s’il existe le titre d’analyste- a été à quelques moment dans l’expérience éprouvé’ (J.Lacan Séminaire logique du fantasme séance 11/5/66)
Il faut bien voir que tout au long de son enseignement se dégage –comme dans la thérapie institutionnelle des distinctions importantes. Ainsi se retrouvent des distinctions telle celle entre faire une psychanalyse, être psychanalyste, faire un psychanalyste (séminaire 13 l’objet de la psychanalyse-séance 22 juin).Il dénoncera l’absence de cette distinction qui en fait sert prétention théorique qui sert d’alibi lorsqu’il s’agit de formation (interview radiodiffusée 8 février 1967), alors qu’il s’agit de rendre compte qu’il y a ‘du’ psychanalyste.
Lacan ne récuse pas que l’analyse est apparue dans la suite d’autres discours –en particulier le discours universitaire qui prétend assurer une formation scientifique (séance 2 février 1972 Le savoir du psychanalyste), mais il soutient que l’analyse produit un autre discours, une autre éthique, un autre acte. L’année 1974 est à ce propos un moment crucial car il reformule le principe de la proposition d’octobre 1967 ‘Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même’ qui devient désormais ‘’le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même…et de quelques autres ’’ (séance 9avril Les non –dupes errent) et ce en s’appuyant sur les formules de la sexuation qu’il met en place à cette époque.
Il faudrait présenter parallèlement à cela comment les dispositifs du cartel et de la passe ont pris peu à peu place pour comprendre comment s’est traduit dans des dispositifs ce qui était avancé à propos de cette conception ‘du psychanalyste’.Deux points doivent être ici souligner : tout d’abord la tentative par Lacan de sortir d’une logique de cooptation et surtout de résister à la constitution de castes,je mentionne ces points car il me semble directement lié à des questions de formation, mais cela nécessiterait de trop nombreuses questions pour en dire d’avantage. Ce qui me semble important ici de souligner c’est le lien avec ce qui passait sur le terrain psychiatrique en particulier. Oury va ainsi proposer la généralisation de la passe pour des réunions de contrôle à propos d’un cas comme pour des réunions quasi psychologiques car cette proposition constitue pour lui une sorte de boussole ‘’qui nous incite à ne jamais oublier l’importance de ce qu’il en est de l’inconscient et des systèmes mis en question,lesquels peuvent être écrasés par des structures de la hiérarchie habituelle, par des statuts absurdes des monuments étatiques ‘(Dialogues à la Borde p106 2008),il dira cependant que c’est bien la psychothérapie institutionnelle qui est la plus importante par rapport à la société de consommation dans laquelle nous nous trouvons où tout se consomme (A quelle heure passe le train p253 -2003-)
Le récent anniversaire des trente ans de la proposition d’octobre et le colloque qui y fut consacré à montrer combien à la fois cette proposition restait féconde mais aussi ce qu’elle a suscité comme divergence, voire come exclusions ainsi les ruptures les ruptures qu’elle a provoquée.. Il n’est pas facile de rendre compte de la situation actuelle mais il semble bien que les questions du croire, de la cause et de ce Lacan a appelé les noms-du –père soient au cœur des débats.Il y a eu à ce propos de nouvelles formation d’associations qui ont amené à ce qui se nomme la nébuleuse Lacanienne.Lacan disait travailler à partir du tourbillon-.’L’unité de valeur promue à la mesure des rétributions diplômantes, avoue à la façon d’un lapsus énorme ce que nous épinglons de la réduction du savoir à l’office du marché. Quant au secteur psychiatrique, le linéament s’y dessine, non moins que dans les nouvelles garderies dites universitaire, de la fin où tend le système, dit la science qui s’en aide encore, y succombe : à savoir le camp de concentration généralisé. Le tourbillon s’accroit autour du trou sans qu’il y ait moyen de s’accrocher au bord parce-que ce bord est le trou lui-même et ce qui s’insurge à y être entrainé, c’est son centre.’ (J.LACAN- lettre au journal le monde-3/2 /1969)Aujourd’hui ne faut-il pas être particulièrement vigilant à ce propos et se demander qu’’est-ce qui institue la psychanalyse, qu’est-ce qui institue une formation ?
3 Les formations institutionnelles
Restons sur la question : qu’est-ce qu’une formation et plus particulièrement sur ce qui nous intéresse à savoir le lien entre l’institutionnel et la formation. Qu’est-ce une formation institue ? Qu’en est-il de son institutionnalisation ? Jusqu’où cela peut-il mener ? Y-a-t’il lieu de parler à ce propos de passage et si oui duquel passage s’agit-il ? Y-a-t’il déformation ? Qu’en est-il du lien avec l’état antérieur, y-a-t’-il possibilité d’un retour à un état antérieur ?. Faut-il pratiquer une autre coupure qui serait équivalent à une contre-psychanalyse-se demande Lacan dans le séminaire sur ‘L’insu que sait de l’une –bevue s’aile a moure’ en 1976 ? Est-ce cela ce que Freud voulait en proposant que les analystes refassent –ce qu’on appelle une deuxième tranche.Une formation quel quelle soit nécessite-t’elle une contre –formation ?
Il y a par ailleurs des modèles de formation,des voies d’accès.Pour beaucoup la clinique, la pratique, le terrain sont les incontournables,il faut le vivre en faire l’expérience.A cela ils s’empressent d’ajouter que bien sûr il faut que cela se fasse dans un lieu où il y a ‘ véritablement’ une pratique de la psychothérapie institutionnelle et là apparaît assez vite que l’on se retrouve dans un débat sur ce qui est considéré,reconnu ou pas comme pratique institutionnelle.
Il y a également toujours cette pente qui pousse à croire que telle ou telle approche serait plus proche de la réalité.La démarche de formation n’échappe pas à cette tendance que du contraire,elle fait appel à cet état’ formé ‘que la formation suppose., Il y a avec l’idée de formation très souvent la recherche prioritaire d’une certaine complétude comme d’ailleurs avec la dimension institutionnelle dans laquelle est recherché quelque chose qui a atteint une pérennité,quelque chose dont le statut d’institué prendrait définitivement le pas sur l’instituant qui ne nous échapperait plus et serait définitivement formalisé.
Pour d’autres au contraire une formation c’est avant tout déconstruire, mettre au travail nos empreintes, nos conditionnements, introduire des déséquilibres, déstabiliser….conscientiser.Pour d’autres encore seul d’avoir fait une analyse permettrait de pouvoir être formateur.
Tosquelles –dans son livre L’enseignement de la folie –nous fait part de ses questions à propos de son activité de formateur lors de sa retraite.IL souligne à la fois les dérives qui risquent de prendre une texture quelque peu philososphique,et la place qu’on lui attribuait de ‘’conseiller spirituel’ voire de maître à penser. Il nous indique également ce qui concerne tout particulièrement la folie et l’engagement.’ En fait c’était pour moi une manière de m’écarter, et de les écarter aussi,de l’épouvantail de la folie qui nous hante tous.Bref,je crois qu’ainsi j’ai pu malheureusement faciliter la mise en acte de leurs défenses phobiques, plus ou moins dissimulées, au bénéfice de leurs espoirs démesurés dans les seuls effets d’une certaine connaissance supposée a priori qu’on pourrait transmettre abstraction faite de l’engagement dans la praxis quotidienne de la psychothérapie. On peut ainsi, comme à Agen, devenir spécialiste de tout, sauf de la psychothérapie concrète, dès lors déniée. On peut même confier la psychothérapie à d’autres « spécialistes » toute la questions étant de ne pas s’y engager soi-même ‘(L’enseignement de la folie p 190-1992).Cette question de l’engagement me semble cruciale,Tosquelles dit ainsi être peu convaincu de l’utilité concrète de ce statut de militant dans lequel on l’assignait,il était également mitigé quant au rôle qu’il pouvait avoir - sauf à deux exceptions près –à Toulouse et à Reus. A relire son Cours aux éducateurs donné en 65 -66 on est pourtant frappé par son souci de montrer l’importance pratique des problèmes théoriques notamment à partir des débats concernant la structure et le structuralisme
Enfin dans le contexte actuel je ne peux terminer sans questionner le lien entre formation, bureaucratie et technocratie. Cela me parait important car ce qui se joue là c’est très précisément ce qui est fait à partir d’une certaine place du savoir.Lacan souligne à ce propos qu’avec la bureaucratie il ne s’agit pas d’un être de tout savoir mais de quelque chose qui s’affirme n’être rien d’autre que du tout savoir(Séminaire L’envers de la psychanalyse séance 17 décembre 1969).Il en est de même pour la technique qui poussée jusqu’à un certain point peut arriver à nous faire oublier qu’il n’y a que la poésie qui puisse nous permettre d’interpréter.
Cette question qui court aujourd’hui les rues ‘de quoi êtes vous le nom me semble finalement fort proche de celle savoir quelle est votre formation. R. Gory a publié récemment cet ouvrage ‘De quoi la psychanalyse est-elle le nom ?’D’autres ouvrages ont également repris cette question, pour faire apparaître les non-dits politiques actuels .Sur quoi viennent donc s’inscrire ces questions et quels en sont les noms ?Sommes nous à un moment où le titre,le diplôme,la qualification viennent par le biais de la formation prendre place au lieu des noms et surtout là où les noms viennent s’inscrirent comme nom propre….menacé aujourd’hui de devenir un code barre.
‘Pour moi l’hôpital psychiatrique, pas plus qu’une école, ne peut être considéré comme une institution, mais comme un ensemble de plusieurs institutions articulées et intégrées.Lorsqu’on rate dans la pratique cette pluralité institutionnelle, chacune d’elles se structure –comme on dit –en institution totalitaire, comme c’est le cas des camps de concentration. C’est alors que ces organismes totalitaires sont définis a priori par leurs fonctionnaires professionnels plus ou moins hiérarchisés.’(Tosquelles-L’enseignement de la folie –p 235-1992)
Pierre Smet
Quelle formation avez-vous ? Question que l’on retrouve de plus en plus fréquemment dans notre quotidien. Elle est généralement suivie par celle d’en savoir plus sur le lieux de formation et ensuite sur les expériences professionnelles, c’est-à-dire sur la mise en pratique d’une formation, sur ce qu’elle a pu devenir au contact du terrain, des solutions attendues… des échecs et des ratages. Force est de constater que si nous pouvons répondre à ces questions grâce à nos diplômes ou notre parcours personnel, il est beaucoup moins aisé d’avoir un regard extérieur sur sa propre formation et ce, même après plusieurs expériences professionnelles. La psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle peuvent nous y aider,mais ces deux approches n’échappent pas aux difficultés que pose la formation même si elle y a apporté d’importants changements.
De même, s’il semble évident de savoir de quoi on parle lorsque on fait référence à la formation, à y réfléchir quelque peu, apparaît bien vite que si nous n’y prenons pas garde, nous pouvons nous trouver rapidement amenés dans des logiques qui vont à l’inverse de la formation, voire à son contraire. Toute formation nécessite donc un questionnement permanent sur ce qu’un processus de formation peut produire comme fermeture, dégradation… d’exclusion sous peine de s’y trouver enfermé.
Mon propos sera de vous présenter différents aspects de la formation afin de faire apparaître la complexité des différentes questions qui s’y trouvent. J’ai pour ce faire choisi de travailler à partir d’une réflexion qui s’apppuie sur trois points d’approche différents afin de montrer comment les enjeux de la formation et de l’institutionnel se trouvent liés. Quoique cela fasse de nombreuses années que je travaille sur ces questions, je reste surpris de ce que j’y découvre encore aujourd’hui. C’est pourquoi j’ai voulu reprendre toute une série de repères et de dégager le cheminement dans lesquels ils se trouvent. Je commencerai par situer quelque peu cette question dans des temps qui nous ont précédés mais qui aujourd’hui encore ont laissé des traces et continuent à prendre des formes inquiétantes. À partir d’un autre point de vue, il s’agira de présenter comment on est passé d’une formation en psychiatrie au collectif psychiatrique. Ensuite il est crucial de montrer le passage de la conception des formations psychiques inconscientes à celle des formations de l’inconscient et à la mise en place de la passe. Enfin il s’agira de préciser à la fois de quoi s’institue la formation et ce qu’il en est de son institutionnalisation.
1. Histoire d’avoir une formation
Lorsque je lis des articles du mouvement de la thérapie institutionnelle je reste le plus souvent interloqué de ce passé européen-en particulier l’entre deux-guerres et celle par la suite de la libération dont finalement je me rends compte que je ne sais pas grand-chose et ce malgré le fait que je suis titulaire de plusieurs titres universitaires en sciences humaines. De ces sciences humaines, sciences conjecturales, je dégagerai deux points : le premier concerne la reconnaissance des sciences humaines par l’université et la communauté scientifique, ce qui a constitué un élément fort important tant au niveau du savoir qu’au niveau de la mise en place des formations. Le deuxième concerne la professionnalisation de ces diplômes et leur lien avec le marché du travail. Il s’agit là d’enjeux fort importants notamment au niveau des conséquences que cela peut ou non produire d’une conception de l’humain voire de d’humanité. Les diverses initiatives politiques des pays européens sur le titre de psychologue montrent qu’il ne s’agit pas d’une question particulière à un pays, mais se retrouve sur plusieurs continents, ce qui tend à créer une image universelle de l’homme.
L’histoire de la professionnalisation reste donc à ma connaissance fort peu abordée tant dans des programmes de cours qu’au sein de syndicat. L’histoire par exemple du rôle des CEMEA reste fort peu connue. Des processus tel que l’abatardisation et l’aliénation mercantile sont peu dénoncés. Nous nous retrouvons là devant la fabrication, la formation de drôles d’hommes à diplôme. Oury avance que précisément là se joue le lien avec la petite propriété… auquel on tient. Cela colle à la personnalité avec le piège imaginaire que représente le moi, les mécanismes de dépendance prennent toute leur importance (Séminaire Le Collectif p. 202, 1984). Obtenir un diplôme renforce le statut et en particulier le statut social, d’où l’intérêt de la distinction à faire entre statut, rôle et fonction. Par ailleurs, avoir diplôme, être diplômé peut encore amplifier d’avantage les préjugés notamment en qui concerne la folie qui nécessite au contraire qu’il ait la reconnaissance d’une dimension existentielle. À cela s’ajoute le fait que le diplôme s’incarne dans une seule personne et fait peu de place à la reconnaissance du travail à plusieurs.
Il faut rappeler à ce propos la place fondamentale qui a été faite aux débuts du mouvement de la psychothérapie institutionnelle à des personnes n’ayant pas de qualifications. Par la suite, dans de nombreux pays il n’y a plus eu cette possibilité alors que par exemple en Belgique de nombreux travailleurs dans le secteur justice-santé mentale-éducation pouvaient jusque dans les années 90 occuper des postes sans pour autant avoir de diplôme ou avoir un diplôme en sciences humaines permettait d’accéder à certains postes.. Il faut souligner qu’était concomitant à ces situations celui des débats sur la gestion des associations et notamment parfois sur l’autogestion ou la cogestion.
Il faut également mettre cela en lien avec ce qui s’est passé-bien plus tôt - avec la psychanalyse concernant l’analyse profane où précisément va être posé la question de savoir quelle est la formation particulière nécessaire pour exercer l’analyse. Cette question provoquera rapidement une scission dans le champs analytique même et qui suscite aujourd’hui encore de nombreux débats. Il s’agit là d’une question cruciale qui va notamment se retrouver jusque dans la proposition d’octobre de Lacan dans laquelle il avance que l’analyste ne s’autorise que de lui-même et ajoute près de dix années ensuite ‘...et de quelques autres ‘
Que veut dire « s’autoriser », terme central chez Lacan mais plus largement dans tout ce qui dans les années 1970 s’est constitué comme ‘auto’ et ce y compris dans la clinique notamment au niveau de la pulsion.Oury parlera de la difficulté que le schizophrène ressent devant le constitué, qu’il a du mal à s’auto-constituer.Ceci étant à mettre en -parallèle avec la mise en avant des courants de cette époque l’autoproduction de l’homme générique.Tosquelles quant à lui mettra l’accent sur nos propension àl’auto-satisfaction et notre dimension d’auto-connerie’’La formulation des idéaux a une fâcheuse tendance à nous entrainer dans la forêt des valeurs morales. Pis encore : dans cette même forêt se cachent de nombreux pièges que chacun construit avec ses propres abstractions intellectuelles, conçues souvent alors comme la chose ensoi, ou plutôt son essence…(L’enseignement de la folie-P100 -1992)
Ces différents points mériteraient d’être développés mais il me paraît plus important d’avancer sur la réflexion proprement dite de la formation en psychothérapie institutionnelle et en psychanalyse.
2 De la formation en psychiatrie au collectif psychiatrique
Oury c’est très tôt prononcé sur des questions de formation et en particulier sur la formation professionnelle en psychiatrie –notamment en 1958 au congrès international de Barcelone – à partir de l’idée de ‘’renfermermerie ‘’dans laquelle les psychiatres sont les premiers à être renfermé et ce à partir de relations tel producteur consommateur, soignant –soigné, médecin –malade. Il ajoute à cela qu’il s’agit de prendre en compte que la vie quotidienne peut dégénérer vers des systèmes clos et aliénant et qu’il s’agit de faire place à une mise en existence des personnes. « C’est pour que chacun soit branché d’une manière plus étroite au système inconscient qui le supporte et qu’il structure lui-même, que nous nous efforçons d’agir ainsi, persuadé que la communication ne devient désaliénante que lorsqu’elle dépasse le stade de la relation spéculaire et symétrique pour s’introduire dans un monde plus fondamental où la variance situe la relation avec autrui selon le mode de l’asymétrie absolue. »
C’est à ce propos que Oury mettra l’accent sur le ‘’Collectif psychiatrique’ et sur la travail de celui –ci à partir de questions et d’agencements concrets.A ce propos Il tachera de préciser sa propre position personnelle dans laquelle il se présente comme contraint d’intervenir par la médiation des institutions pour lutter contre les attitudes aliénantes de ségrégation interne et de prendre personnellement l’analyse de quelques moniteurs.Les acting-out montreraient ainsi l’existence mais aussi la fragilité d’ordonnancement d’un système de valeur.’’La mise en jeu d’un certain mécanisme signifiant exige certaines conduites,en exclut d’autres.’’et il poursuit ‘Toute personne venant s’intégrer dans l’équipe thérapeutique se professionnalise dans une direction bien définie.C’est ce processus qui sert de trame à toute formation professionnelle efficace ‘.Il y a donc à souligner l’importance existentielle que prend dans chaque personne l’historicité du Collectif et le fait que son articulation inconsciente la fait accéder au rôle de soignante.Par la suite en 1959 il se prononcera clairement sur le club comme un instrument de formation du personnel soignant,comme le complément vécu indispensable d’une formation plus académique.
L a psychothérapie institutionnelle nécessite une structure de l’organisation –une formation- qui ne relève pas d’un organigramme pyramidal mais plutôt d’un organigramme polycentrique, qui par ailleurs se soutient d’un lien entre pratique et analyse permanente. Le collectif ne peut cependant que renvoyer à un système d’axiomes qui spécifient le collectif aussi bien dans son objet que dans son but.L’ analyse permanente ne peut donc être une opération abstraite :son objet en définit à chaque instant les modalités et la théorie. Il ne s’agit pas ici une nouvelle fois de retomber dans une dichotomie trop facile du concret et de l’abstrait,ils’ agit au contraire de tacher d’en établir le lien.Si pour Oury le collectif ressemble à une machine abstraite c’est en tant « qu’elle n’ek-siste que parce qu’il ya une sorte d’information permanente –au sens d’enformer-qui forme cette espèce d’organe abstrait qui lui-même à ce moment là,va permettre qu’il y ait une possibilité d’une nouvelle greffe de transfert. C’est au niveau de l’ambiance qu’on va « sentir »qu’il y a quelque chose de vivant qui tient la place du semblant ». (Oury Séminaire collectif p215 1984).
En 1986 dans le séminaire intitulé’ Création et Schizophrénie ‘ Oury poursuit cette réflexion pour situer le lieu de surgissement où il se manifeste quelque chose de l’ordre de la psychose.Il reprends ce terme ‘enforme ‘en se référent notamment à ce qui a été dit sur la gestaltung à entendre comme mise ne forme (p 31),mais il n’est pas satisfait de cette traduction’’Le terme d’enforme ne traduit pas bien Gestaltung.parce-que mettre en forme suppose presqu’on a déjà l’idée d’une forme du moins l’idée de former devant les yeux alors que dans sa définition Klee dit que l’accent du mot gestaltung doit être mis sur la désinence.’( p195)’(L’essentiel dans une gestaltung ce sont ses ruptures, ses discontinuités, dont l’unité exige, pour être, une activité pure de franchissement ; iL faut se perdre dans sa faille ou se perdre et se gagner dans le bond.L’important, le décisif est que la faille est un vide.’ (p196) Il fait également référence à Lacan qui avance quant à lui que dans le champs imaginaire le champs de A est en-forme de l’objet a ‘au niveau de ce champ ceci s’inscrit dans une topologie qui,à l’imager car bien sûr ce n’est qu’une image intuitive,se présente comme le ‘trouant ‘(Lacan Séminaires ‘D’un autre à L’Autre ‘ 68-69-)
Nous voyons ainsi quelle place prends également la formation par rapport aux questions cliniques,on pourrait en dire d’avantage par exemple sur les formations réactionnelles mais je m’en tiendrai à la question posée, dans ce fameux texte ‘Projet d’une rencontre entre psychanalystes de villes et psychiatres d’hôpitaux ‘du rapport entre aliénation et formations réactionnelles, c’est là où il s’agit effectivement d’être au clair notamment par apport à l’aliénation et par rapport à ce qu’il en est de l’inconscient.
3 Des formations psychiques inconscientes aux formations de l’inconscient.La passe
Il est important de prendre en compte que si Freud parle de formations psychiques inconscientes,Lacan quant à lui passe à la notion de formations de l’inconscient C’est en 1975 que Lacan intitule son séminaire les formations de l’inconscient en mettant sur un graphed’une part les emplois courants du langage et sur l’autre la dimension intentionnelle prise dans l’acte de parler, nous ne développerons pas ici les différents points du graphe seulement à souligner ce qu’il en adviendra du besoin et surtout l’apparition de la notion de jouissance dont Lacan donne comme définition –en référence à Freud ‘’plaisir de la surprise et surprise du plaisir’’.Ce qui est important ici est de poursuivre ce travail à propos de présentation de ‘ l’autre scène’,celle qui aurait pour charge de ramener le message à son émetteur. La topologie de Lacan à cette époque viser a à présenter de l’au-delà du besoin dont devra se satisfaire le désir. En particulier la mise en scène du phallus équivaudrait à ce qui a été nommé Nom-du –père dans le Séminaire III,le père resterait donc ce personnage clé de ce qui est présenté dans le graphe et ce notamment à partir des différents temps –frustration,privation,castration-qui caractérisent chaque niveau.Lacan en arrive ainsi à une seconde définition de la jouissance ‘espace d’irradiation ou de phosphorescence qui se dégage du fait que le sujet se trouve dans une position venue d’on ne sait quelle béance primitive en quelque sorte extraite de son rapport d’implication à l’objet,et de là il se saisit fondamentalement lui-même comme patient dans cette relation’. Ce qui nous importe ici c’est l’avancée de Lacan à propos du signifiant, c’est-à-dire de ce qu’est cette présence fugace du signifiant –trace dans l’effacement qui désigne un signifié. ‘Ce qui reste d’un texte, c’est la place où l’on a effacé, et c’est bien cette place aussi qui soutient la transmission, qui est ce quelque chose d’essentiel grâce à quoi ce qui se succède dans le passage prend consistance de foi(séance 23/4/1958)’Il apparaît ainsi que l’une des dimensions essentielles du signifiant, c’est de pouvoir s’annuler lui-même. Cette approche essentielle se retrouve dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle et ce notamment sous la plume de Tosquelles en préface de l’ouvrage ‘Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle-traces et configurations précaires’. A propos du dépaysement que les textes de Oury peuvent susciter Tosquelles écrit :’ « On pourrait dire,avec une métaphore simplette mais transparente,que lorsqu’on se tient au plus près des mouvements formatifs des textes théoriques,la scission apparaît entre :d’une part le terrain où se nouent et germinent les efflorescences sauvages ou cultivées en question et d’autre part,la propre apparence,le propre mouvement,et,dans le meilleur des cas,les propres incidences complexes du processus d’efflorescence. Alors les textes deviennent « en réalité » de la « littérature », de la production esthétique ou philosophique. De « vraies formations réactionnelles »,des fascinations de la couleur, des demi-teintes, des modulations odorantes,des excréta qui sont alors mis en boîte, dégagées de leur propre processus d’usinage. Dans les meilleurs cas, des fleurs desséchées dont les livres semblent faits à propos pour évoquer avec discrétion des souvenances, des bouquets de fleurs qui se fanent fatalement. »
Ce texte,en parlant ainsi de la formation, nous permet d’en arriver à la question de la formation du psychanalyste -pour aborder ensuite celle de celui ou de celle qui veut s’inscrire dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle. Il s’agit en effet de souligner que dans les années cinquante un des débats majeurs portait sur la conception du symbolique et en particulier ce qui ce qui fait départ.Ainsi pour Lacan ce qui fait départ c’est la ligne, qu’il appelle coupure et qu’il s’agit de tenir à priori pour fermée,c’est là l’essence de sa nature signifiante.(Séance 23mai 1962 séminaire Identification).Lacan en arrive ainsi à soutenir que l’on ne peut s’en tenir au fait de savoir si quelqu’un a été analysé mais plus tôt de ce que cela lui fait d’être psychanalysé. Ce sera la question du’ désir de l’analyste ‘ -question reprise notamment dans le séminaire de 1964-65 qui suivit son excommunication-à noter que celle –ci fut exigée à partir de l’interdiction faite à Lacan d’occuper une fonction de formation.
En 1966 il clarifiera encore d’avantage sa position: ‘’Le problème de la formation du psychanalyste n’est rien d’autre…. que par une expérience privilégiée,il permet que viennent au monde des sujets pour qui cette division du sujet ne soit pas seulement quelque chose qu’ils savent,mais quelque chose en quoi ils pensent.Il s’agit que vienne au monde quelqu’un qui saurait découvrir ce qu’il expérimente dans l’expérience analytique à partir de cette position maintenue que jamais il ne soit en état de méconnaître qu’au moment de savoir il soit dans une position divisée.Rien n’est plus difficile que de maintenir,dans une position d’être,ce qui pour chacun -s’il existe le titre d’analyste- a été à quelques moment dans l’expérience éprouvé’ (J.Lacan Séminaire logique du fantasme séance 11/5/66)
Il faut bien voir que tout au long de son enseignement se dégage –comme dans la thérapie institutionnelle des distinctions importantes. Ainsi se retrouvent des distinctions telle celle entre faire une psychanalyse, être psychanalyste, faire un psychanalyste (séminaire 13 l’objet de la psychanalyse-séance 22 juin).Il dénoncera l’absence de cette distinction qui en fait sert prétention théorique qui sert d’alibi lorsqu’il s’agit de formation (interview radiodiffusée 8 février 1967), alors qu’il s’agit de rendre compte qu’il y a ‘du’ psychanalyste.
Lacan ne récuse pas que l’analyse est apparue dans la suite d’autres discours –en particulier le discours universitaire qui prétend assurer une formation scientifique (séance 2 février 1972 Le savoir du psychanalyste), mais il soutient que l’analyse produit un autre discours, une autre éthique, un autre acte. L’année 1974 est à ce propos un moment crucial car il reformule le principe de la proposition d’octobre 1967 ‘Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même’ qui devient désormais ‘’le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même…et de quelques autres ’’ (séance 9avril Les non –dupes errent) et ce en s’appuyant sur les formules de la sexuation qu’il met en place à cette époque.
Il faudrait présenter parallèlement à cela comment les dispositifs du cartel et de la passe ont pris peu à peu place pour comprendre comment s’est traduit dans des dispositifs ce qui était avancé à propos de cette conception ‘du psychanalyste’.Deux points doivent être ici souligner : tout d’abord la tentative par Lacan de sortir d’une logique de cooptation et surtout de résister à la constitution de castes,je mentionne ces points car il me semble directement lié à des questions de formation, mais cela nécessiterait de trop nombreuses questions pour en dire d’avantage. Ce qui me semble important ici de souligner c’est le lien avec ce qui passait sur le terrain psychiatrique en particulier. Oury va ainsi proposer la généralisation de la passe pour des réunions de contrôle à propos d’un cas comme pour des réunions quasi psychologiques car cette proposition constitue pour lui une sorte de boussole ‘’qui nous incite à ne jamais oublier l’importance de ce qu’il en est de l’inconscient et des systèmes mis en question,lesquels peuvent être écrasés par des structures de la hiérarchie habituelle, par des statuts absurdes des monuments étatiques ‘(Dialogues à la Borde p106 2008),il dira cependant que c’est bien la psychothérapie institutionnelle qui est la plus importante par rapport à la société de consommation dans laquelle nous nous trouvons où tout se consomme (A quelle heure passe le train p253 -2003-)
Le récent anniversaire des trente ans de la proposition d’octobre et le colloque qui y fut consacré à montrer combien à la fois cette proposition restait féconde mais aussi ce qu’elle a suscité comme divergence, voire come exclusions ainsi les ruptures les ruptures qu’elle a provoquée.. Il n’est pas facile de rendre compte de la situation actuelle mais il semble bien que les questions du croire, de la cause et de ce Lacan a appelé les noms-du –père soient au cœur des débats.Il y a eu à ce propos de nouvelles formation d’associations qui ont amené à ce qui se nomme la nébuleuse Lacanienne.Lacan disait travailler à partir du tourbillon-.’L’unité de valeur promue à la mesure des rétributions diplômantes, avoue à la façon d’un lapsus énorme ce que nous épinglons de la réduction du savoir à l’office du marché. Quant au secteur psychiatrique, le linéament s’y dessine, non moins que dans les nouvelles garderies dites universitaire, de la fin où tend le système, dit la science qui s’en aide encore, y succombe : à savoir le camp de concentration généralisé. Le tourbillon s’accroit autour du trou sans qu’il y ait moyen de s’accrocher au bord parce-que ce bord est le trou lui-même et ce qui s’insurge à y être entrainé, c’est son centre.’ (J.LACAN- lettre au journal le monde-3/2 /1969)Aujourd’hui ne faut-il pas être particulièrement vigilant à ce propos et se demander qu’’est-ce qui institue la psychanalyse, qu’est-ce qui institue une formation ?
3 Les formations institutionnelles
Restons sur la question : qu’est-ce qu’une formation et plus particulièrement sur ce qui nous intéresse à savoir le lien entre l’institutionnel et la formation. Qu’est-ce une formation institue ? Qu’en est-il de son institutionnalisation ? Jusqu’où cela peut-il mener ? Y-a-t’il lieu de parler à ce propos de passage et si oui duquel passage s’agit-il ? Y-a-t’il déformation ? Qu’en est-il du lien avec l’état antérieur, y-a-t’-il possibilité d’un retour à un état antérieur ?. Faut-il pratiquer une autre coupure qui serait équivalent à une contre-psychanalyse-se demande Lacan dans le séminaire sur ‘L’insu que sait de l’une –bevue s’aile a moure’ en 1976 ? Est-ce cela ce que Freud voulait en proposant que les analystes refassent –ce qu’on appelle une deuxième tranche.Une formation quel quelle soit nécessite-t’elle une contre –formation ?
Il y a par ailleurs des modèles de formation,des voies d’accès.Pour beaucoup la clinique, la pratique, le terrain sont les incontournables,il faut le vivre en faire l’expérience.A cela ils s’empressent d’ajouter que bien sûr il faut que cela se fasse dans un lieu où il y a ‘ véritablement’ une pratique de la psychothérapie institutionnelle et là apparaît assez vite que l’on se retrouve dans un débat sur ce qui est considéré,reconnu ou pas comme pratique institutionnelle.
Il y a également toujours cette pente qui pousse à croire que telle ou telle approche serait plus proche de la réalité.La démarche de formation n’échappe pas à cette tendance que du contraire,elle fait appel à cet état’ formé ‘que la formation suppose., Il y a avec l’idée de formation très souvent la recherche prioritaire d’une certaine complétude comme d’ailleurs avec la dimension institutionnelle dans laquelle est recherché quelque chose qui a atteint une pérennité,quelque chose dont le statut d’institué prendrait définitivement le pas sur l’instituant qui ne nous échapperait plus et serait définitivement formalisé.
Pour d’autres au contraire une formation c’est avant tout déconstruire, mettre au travail nos empreintes, nos conditionnements, introduire des déséquilibres, déstabiliser….conscientiser.Pour d’autres encore seul d’avoir fait une analyse permettrait de pouvoir être formateur.
Tosquelles –dans son livre L’enseignement de la folie –nous fait part de ses questions à propos de son activité de formateur lors de sa retraite.IL souligne à la fois les dérives qui risquent de prendre une texture quelque peu philososphique,et la place qu’on lui attribuait de ‘’conseiller spirituel’ voire de maître à penser. Il nous indique également ce qui concerne tout particulièrement la folie et l’engagement.’ En fait c’était pour moi une manière de m’écarter, et de les écarter aussi,de l’épouvantail de la folie qui nous hante tous.Bref,je crois qu’ainsi j’ai pu malheureusement faciliter la mise en acte de leurs défenses phobiques, plus ou moins dissimulées, au bénéfice de leurs espoirs démesurés dans les seuls effets d’une certaine connaissance supposée a priori qu’on pourrait transmettre abstraction faite de l’engagement dans la praxis quotidienne de la psychothérapie. On peut ainsi, comme à Agen, devenir spécialiste de tout, sauf de la psychothérapie concrète, dès lors déniée. On peut même confier la psychothérapie à d’autres « spécialistes » toute la questions étant de ne pas s’y engager soi-même ‘(L’enseignement de la folie p 190-1992).Cette question de l’engagement me semble cruciale,Tosquelles dit ainsi être peu convaincu de l’utilité concrète de ce statut de militant dans lequel on l’assignait,il était également mitigé quant au rôle qu’il pouvait avoir - sauf à deux exceptions près –à Toulouse et à Reus. A relire son Cours aux éducateurs donné en 65 -66 on est pourtant frappé par son souci de montrer l’importance pratique des problèmes théoriques notamment à partir des débats concernant la structure et le structuralisme
Enfin dans le contexte actuel je ne peux terminer sans questionner le lien entre formation, bureaucratie et technocratie. Cela me parait important car ce qui se joue là c’est très précisément ce qui est fait à partir d’une certaine place du savoir.Lacan souligne à ce propos qu’avec la bureaucratie il ne s’agit pas d’un être de tout savoir mais de quelque chose qui s’affirme n’être rien d’autre que du tout savoir(Séminaire L’envers de la psychanalyse séance 17 décembre 1969).Il en est de même pour la technique qui poussée jusqu’à un certain point peut arriver à nous faire oublier qu’il n’y a que la poésie qui puisse nous permettre d’interpréter.
Cette question qui court aujourd’hui les rues ‘de quoi êtes vous le nom me semble finalement fort proche de celle savoir quelle est votre formation. R. Gory a publié récemment cet ouvrage ‘De quoi la psychanalyse est-elle le nom ?’D’autres ouvrages ont également repris cette question, pour faire apparaître les non-dits politiques actuels .Sur quoi viennent donc s’inscrire ces questions et quels en sont les noms ?Sommes nous à un moment où le titre,le diplôme,la qualification viennent par le biais de la formation prendre place au lieu des noms et surtout là où les noms viennent s’inscrirent comme nom propre….menacé aujourd’hui de devenir un code barre.
‘Pour moi l’hôpital psychiatrique, pas plus qu’une école, ne peut être considéré comme une institution, mais comme un ensemble de plusieurs institutions articulées et intégrées.Lorsqu’on rate dans la pratique cette pluralité institutionnelle, chacune d’elles se structure –comme on dit –en institution totalitaire, comme c’est le cas des camps de concentration. C’est alors que ces organismes totalitaires sont définis a priori par leurs fonctionnaires professionnels plus ou moins hiérarchisés.’(Tosquelles-L’enseignement de la folie –p 235-1992)
Pierre Smet
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